21 juin 2005

"Pour un oui, pour un non" ou quand le Figaro vole au secours du Monde...

A propos d'une méchante petite chronique de Stéphane Denis, publiée ici :

la chronique de S. Denis du 21/06/2005 sur le site du Figaro

Anatole vous propose quelques commentaires, au fil du texte :

> Le journal
Le Monde a été condamné pour avoir publié un texte sur le
> conflit du Proche-Orient.


Telle est la première phrase de l'article de S. Denis. Drôle de formulation tout de même, qui suggère faussement que la liberté de la presse serait gravement attaquée : ce n'est évidemment pas "pour avoir publié un
texte sur le conflit du Proche-Orient" que le journal "Le Monde" a été
condamné, mais bien pour avoir publié ce texte-là, un texte
radicalement antisioniste, assimilant Israël à l'Allemagne nazie, et un
texte explicitement antisémite, accusant collectivement "les Juifs" de
"faire preuve d'une terrible inhumanité".

> Il portait sur Israël et la Palestine, sujet qui touche aux passions
> bien qu'à la longue le sentiment du public se soit émoussé.

Passion du public, ou passion de certains journalistes ?

> Ça n'a pas fait de bruit parce que ces articles qui rassemblent
> plusieurs signataires sont monnaie courante et que la pétition est un
> genre nombreux, presque discrédité.


Malheureusement, les raisons pour lesquelles les propos infâmes tenus dans l'article incriminé n'ont pas fait davantage de bruit sont plutôt qu'ils se sont trouvés noyés dans un bruit de fond général, en vérité des plus assourdissants pour qui avaient des oreilles pour entendre, un bain de désinformation, de calomnies, de mensonges, de délires parfois, dans lequel l'opinion n'a cessé d'être plongée depuis notamment le début de la guerre AL Aqsa décidée en son temps par Arafat contre Israël.

Ce qui n'a pas fait de bruit du tout dans les medias, c'est par contre la
condamnation du Monde pour "« diffamation raciale » envers le peuple
juif" par la Cour d'Appel de Versailles, jusqu'à cet article de S. Denis bien sûr...


> Il existe des associations qui, elles, redoublent de vigilance et de
> hargne à défendre leur point de vue, peut-être à cause de la
> désaffection du public pour ce problème venu de loin et qui semble
> insoluble.

En matière de lutte contre l'antisémitisme, souligner la vigilance des associations, c'est leur rendre hommage; quant à la "hargne" (celle de Stéphane Denis à défendre sa corporation ?) ce n'est qu'un petit mot pour tenter de masquer la haine envers Israël et envers les juifs que manifeste l'article condamné. Car qui, en effet, se trouve essentiellement confronté à la "désaffection du public", sinon les médias eux-mêmes dont S. Denis prend ici, collectivement la défense, sonnant le tocsin de la liberté de la presse ?

> Ce sont ces associations qui ont obtenu la condamnation du Monde et
> des personnalités signataires.

Par la Cour d'Appel de Versailles, qui l'a prononcée.

> Ces condamnations sont de plus en plus répandues ; pour un oui, pour
> un non, il est déclaré que tels ou tels propos sont inadmissibles et
> dépassent les limites de la bienséance, voire de la polémique.

"Pour un oui, pour un non" : pour Stéphane Denis, souffler sur les
braises de l'antisémitisme, ce sont des broutilles. En pleine
explosion du sentiment anti-juif et anti-israélien en France et dans le
monde, qualifier les Juifs de « peuple dominateur et sûr de lui » et «
peuple méprisant ayant satisfaction à humilier », faire passer la
politique israélienne pour du nazisme et comparer le sort certes
malheureux du peuple palestinien à la Shoah, ce n'est là pour Stéphane
Denis que broutilles. Il est vrai que s'agissant de l'orientation
générale et méthodiquement suivie, jour près jour depuis des années par
l'ensemble des médias français à de quelques très rares exceptions, on
comprend que pour ce monsieur il n'y ait pas de quoi fouetter un chat.

> Il est entendu qu'on ne commente pas une décision de justice,
> affirmation qui n'a jamais été suivie d'effet car la justice liée,
> surtout en France, à la politique et à l'histoire a toujours été un
> révélateur de l'état de la société. Déjà celle de Robert le Pieux
> faisait se tordre ses loyaux sujets.

Qu'est-ce qu'on se marre !!! Merci Stéphane Denis, le coté comique de
cette condamnation nous avais échappé...

> Loin d'être immanente et de siéger dans l'Olympe où régnait d'ailleurs
> l'arbitraire le plus total, elle est dans ce pays changeante et
> moutonnière, soumise aux régimes et, depuis peu, à l'air du temps
> auquel elle essaie désespérément de s'adapter. «On ne commente pas une
> décision de justice» a toujours, par le passé, été suivi d'un «mais»
> qui permettait d'ajouter tout le mal qu'on en pensait. Dorénavant le
> commentaire fait partie de la justice elle-même qui ne s'en prive pas
> et nourrit, au demeurant, de nombreuses rubriques des journaux.


> En cela, la condamnation du Monde n'aurait rien de particulier si elle
> n'arrivait à son heure dans le grignotage incessant de la liberté
> d'expression.


Grave accusation, à développer. Stéphane Denis suggère-t-il que nous nous trouvions dès à présent dans une dictature ?

Veut-il suggérer qu'en France toute la presse serait aux
ordres du Quai d'Orsay, de l'Elysée ou même de l'AFP ???



> Qu'elle porte sur une opinion relative au conflit du Proche-Orient n'a
> rien d'étonnant ; il y en a en permanence et, comme on l'a dit, les
> camps en présence se surveillent l'un l'autre. Elle pourrait porter
> sur tout autre sujet.

A écouter le dialogue Boniface/Schemla avec des deux "camps", sur
http://www.proche-orient.info/xaudio_article.php3?id_article=42502,
au cours duquel la condamnation d'Edgar Morin, Sami Naïr, Danièle Salenave et le journal le Monde ont été évoquées.

> L'important est qu'elle attribue aux signataires
> du texte incriminé des sentiments infamants, à l'opposé de ce que l'on
> sait d'eux (je ne les connais pas)

A l'opposé de ce que l'on sait sur ce que l'on ne connait pas... il n'y
a plus grand chose si ce n'est une rhétorique creuse...

En l'occurence, la question n'est pas de savoir si les sentiments des auteurs sont tels ou tels, mais de savoir ce qu'ils ont écrit.

> et de l'intention manifeste de ce qu'ils ont écrit. Pour formelle et
> anecdotique qu'elle soit, cette interprétation du tribunal (qu'un
> autre pourrait aisément démentir) en prend une dimension insupportable
> et inquiétante pour l'avenir. L'extrême susceptibilité des gens en
> place et de ce genre d'associations à tout ce qui s'apparente peu ou
> prou à une opinion est un réflexe qu'ils veulent communiquer par
> intimidation à la société tout entière, convoquée sans cesse à
> censurer le moindre propos qui ait de la couleur et des mots un peu
> vrais.

"un peu vrai" !!! Rassurez-vous monsieur Denis, j'imagine que
personne ne songera à vous poursuivre en justice pour cet édito un peu pourri, où des propos antisémites, je m'appuie sur le jugement, sont par vous qualifiés de "moindres propos" et d'"un peu vrais".

Le Monde avait inventé le "vrai-faux" (jusqu'à ce que le médiateur du journal Le Monde, dans une chronique mémorable, siffle la récrée), le Figaro, sous la plume de S. Denis, se lance dans "l'un peu vrai". Or onb parle d'accusation visant le peuple juif, collectivment et en tant que tel, à l'exception notable d'une courageuse et remarquable minoritée (je cite à peu prêt), l'exception faisant la règle on voit, et le tribunal a vu, ce qui était écrit noir sur blanc dans ce texte (à lire sur [mettre un lien]).

Un peu vrai...


> On l'a vu pendant la campagne du référendum, dont certains,
> aujourd'hui, disent en frissonnant qu'elle a pris des allures de
> guerre civile. Ce fut peu de chose à côté de débats antérieurs. La
> lecture de celui de la CED, qui permit en 1952 à Jacques Duclos de
> traiter Robert Schuman de Boche, ferait pâlir ces âmes sensibles. Pour
> qui préfère la période gaullienne, il est facile de se reporter aux
> riches heures du référendum de 1962, et les amateurs de socialisme
> pourront plonger dans les journaux de 1981. Personnellement au cours
> de cette campagne pour le oui ou le non, je n'ai entendu que des
> paroles convenues et souvent sincères ; même, on aurait aimé un débat
> un peu vif.

On n'est pas non plus obligé de souffler sur les braises, plutôt croire que la raison l'emportera (tant il est vrai que la réalité s'impose finalement à tous).

> [... ] [Oui/Non][je passe]


> Dans l'affaire du Monde, on chercherait en vain l'atrocité et
> l'arrogance en question. La tribune était sans équivoque. Elle
> reprenait les propos du général de Gaulle sur «le peuple dominateur et
> sûr de lui»

Là, Denis, vous touchez un point sensible. Car en
effet, le général de Gaulle, aussi incroyable que cela puisse paraître
à ceux qui pensent que de Gaulle était comme Dieu (alors que c'est Mitterrand qui l'était, rappelez-vous...) a tenu ces propos révoltants sur le peuple juif, marquant le début de l'hostilité permanente et profonde du Quai à l'égard d'Israël. Soyons clairs : les propos de de Gaulle était condamnables, et leurs conséquences auront été desastreuses. Qualifier un Peuple d'un terme moral est toujours très délicat, quand ce terme est négatif, "dominateur", on a franchi une frontière. Quant au "sûr de lui", c'est heureusement parfois vrai, et cela pourrait certainement être pris pour un compliment, mais très difficilement dans la séquence complète "peuple dominateur et sûr de lui", dont il est difficile de ne pas voir le caractère diffamatoire à l'égard du peuple ainsi désigné.

> dans un contexte accru par l'aggravation de la situation faite aux
> Palestiniens ;

Il faudrait donner une vision peut-être plus complète dudit contexte, mais enfin on ne s'attendait tout de même pas à ce que S. Denis porte un regard équilibré sur la guerre Al-Aqsa conduite par Arafat
pendant presque 5 ans...

> elle concluait à l'imposition d'un ordre impitoyable,

"une terrible inhumanité" dit même le texte, par où l'on voit que de
victimes du premier crime contre l'humanité qualifié comme tel, les Juifs seraient devenus pour "le penseur de la complexité" Edgar Morin, co-auteur du texte, des êtres aux actes inhumains [... ]

> par le plus fort [... ]

ces "plus forts" (mais ce n'est pas si simple, car les conflits
assymétriques montrent de quelles armes les plus faibles disposent
parfois dont les plus forts, notamment lorsqu'il s'agit de démocraties,
ne peuvent ou ne veulent user) auraient-ils été désignés par "les
israéliens", que le texte incriminé n'en n'aurait pas moins été odieux;
mais c'est bien par "les Juifs" qu'ils sont désignés, et c'est
d'ailleurs là la raison de la décision de la cour d'Appel de Versailles.

> [... ]au plus faible. La cour a trouvé ces imputations outrancières et
> ajouté que la liberté d'expression comporte des devoirs et des
> responsabilités. Justement. C'est à l'exercice de leur responsabilité
> que les signataires, qu'encore une fois je ne connais pas et dont les
> oeuvres ne me sont pas familières, ont manifestement songé en
> s'engageant par écrit.

Si l'on suit S. Denis, tout auteur, écrivant ce qu'il écrit,
exerçant donc sa responsabilité, se voit par conséquent autoriser à écrire toute saloperie qu'il lui plaira puisque, selon S.
Denis, du fait d'écrire il satisfait bien aux devoirs et responsabilités que comporte la liberté
d'expression.

Joli sophisme, dont on voudrait savoir ce qui empêcherait S. Denis de l'appliquer à un livre actuellement très vendu dans un pays frontière de l'Europe, je veux parler de Mein Kampf, d'Adolf Hitler, qui fait actuellement un tabac en Turquie.


> Certainement partial, leur texte concernait un sujet qui l'est tout
> autant.

Un texte partial, je vois, mais un sujet partial ? il n'y a pas de "sujets partials", monsieur Denis, il n'y a qu'idéologies et confusion d'esprit. "Sujet partial"... un peu n'importe quoi, non ?


> Écrire là-dessus n'a aucun intérêt si c'est pour recopier les
> résolutions de l'ONU. Il est extrêmement regrettable qu'il ait
> entraîné une condamnation pour diffamation raciale et je remplacerai
> volontiers regrettable par stupide.

> Les journaux qui s'interrogent ces jours-ci sur ce qu'il faut écrire
> et ce qu'il ne faut pas écrire [...]

(Comme le rappelle Annie Cohen-Solal dans un très intéressant article
du Monde (21/06/2005) consacré à Sartre, Libération fut créé avec le
but de "donner la parole aux journalistes qui veulent tout dire"; de
fait, qu'on le veuille ou non, ce n'est pas si simple...)


> Cette formule pompeuse [il s'agit de la formule "Divulguer ce qu'on >sait [...] serait préjudiciable aux intérêts de la France"]
>et surtout très vague a l'avantage d'être
> comprise par tous et de laisser aux journalistes une marge
> d'appréciation hélas voisine de zéro. C'est contrariant, mais le moyen
> de faire autrement ? [...] Si parler peut
> causer des dégâts, autant se taire. En revanche, pourquoi ne pas
> s'interroger sur la nécessité d'envoyer des gens en Irak ou sur la
> contre-productivité du barouf fait par notre diplomatie et les médias
> eux-mêmes ? [ces thèmes] passionnent
> davantage les journalistes qu'une banale condamnation à 1 euro de
> dommages et intérêts. Leur intérêt, pourtant, est ici manifeste et les
> dommages, si on ne met pas fin à cette tutelle judiciaire des opinions
> admises ou refusées, seront considérables. Pour l'ensemble de ces
> raisons, il faut s'élever contre la condamnation du Monde.



Deux commentaires supplémentaires d'Anatole :

Moi non plus je ne suis pas pour la judiciarisation des opinions. Or, le racisme n'est pas une opinion, mais un délit, et l'antisémitisme est une forme de racisme. C'est ce qui a été sanctionné cette fois là par la justice.

1. Pour Monsieur Denis, l'article
de Morin & alter est au fond bien inoffensif : "pour un oui, pour un non", il "s'apparente peu ou prou à une opinion", c'est un "moindre propos" et la décision
de justice, reposerait sur une interprétation "anectotique", et serait finalement "stupide". Le procédé nous rappelle celui par lequel le
journal Libération rendait compte en son temps du départ du Lycée
Montaigne d'un élève juif victime d'agressions antisémites répétées de
la part d'autres élèves, auxquels le MRAP et la LDH avaient apportés
leurs soutiens au prétexte que ces derniers, d'origine maghrébine,
étaient eux-mêmes potentiellement victimes de racisme. Dans ce
court papier reprenant une dépêche rédigée AFP, Libération décrivait en ces termes
l'agression bien réelle : elle aurait consisté à avoir été traité par l'un des agresseurs de "sale juif", et par l'autre de : "minus". A la lecture de ce papier, le lecteur mal informait devait en déduite que décidément les Juifs faisaient beaucoup de bruit pour rien, criant à l'antisémitisme "pour un oui, pour un non". En attendant c'est l'enfant victime qui a dû quitter le Lycée.

2. Il se trouve que l'un des auteurs condamné de l'article du Monde non seulement parle beaucoup d'éthique, mais aussi qu'il revendique par ailleurs la dimension juive de son identité, il en témoigne dans l'un de ses livres, etc,... Pour nous, cela ne constitue en aucune façon un argument en sa faveur. En fait, et bien que l'origine
des personnes ne devrait pas être prise en compte dans la réception que nous en faisons, force est de constater la nocivité toute particulière des propos racistes lorsque ceux-ci sont tenus par des individus appartenant au groupe visé par lesdits propos, quelque part entre le masochisme pur et simple et l'obsession d'être celui qui balaie bien "devant sa porte" (en fait celle d'un autre). En France, les "juifs anti-juifs", ou disons plus gentiment, parce que tout le monde peut évoluer, ceux qui mettent en avant leur identité juive pour justifier des propos sur les Juifs à l'occasion d'attaques contre Israël dans son essence, propos il faut le souligner qu'on n'aurait jamais acceptés d'un antisémite patenté, sont eux adorés des médias dominants (et dominés), ils en ont parfaitement interprété la chanson ces dernières années, grand bien leur fasse...

3. On espère que le Sieur Denis fera mieux la prochaine fois, de toute façon nous le soutiendrons dans son combat pour la liberté d'expression (un peu mon neveu !) fût-ce en le critiquant de la façon la plus sèvère. [Enfin on n'y passera quand même pas trop de temps, on n'a pas que ça à faire après tout, et il y a bien d'autres choses à lire. Après tout, il ne nous lira sans doute pas, lui. Et comme on dit : "il n'y a pas que le Figaro dans la vie (il y a Le Monde aussi)".